L’avis des autres, et surtout de ma famille, a toujours beaucoup compté pour moi. Je voulais leur validation, leur approbation, tout cela pour avoir leur amour. Alors, imaginez, lorsque vous entendez les personnes dont vous voulez être aimée, rajouter des doutes aux doutes et aux questionnements que vous avez déjà.
Et alors, oui, on est tous – plus ou moins – au courant de cela : les personnes qui sont les plus proches de nous ont beaucoup de peurs. On peut souvent entendre des justifications de cela : elles souhaitent nous protéger… Mais en réalité, c’est surtout qu’elles parlent d’elles-mêmes.
Néanmoins, bien que sachant cela, lorsqu’on se pose déjà beaucoup de questions par rapport à sa propre vie, avoir en plus des doutes, des remises en question, en cause de nos choix, c’est dur, voire blessant.
Alors oui, même après le chemin parcouru, ce type de phrase me heurte encore.Aujourd’hui nous sommes le 10 février 2024 et il y a eu de l’évolution ces dernières années.
Il y a environ 5 ans, je commençais à aller mal, alors que j’exerçais en tant qu’avocate dans un cabinet de niche à Paris, rue de l’Opéra. Je commençais à ne plus dormir, à me réveiller en sursaut la nuit, etc. En mars, la semaine à la montagne a été une révélation pour moi : j’avais besoin d’arrêter, je n’en pouvais plus. C’est en juin que j’ai finalement posé ma démission, sans rien avoir derrière – pas de back up, pas de nouveau job. J’avais besoin de temps pour me recentrer et faire le point sur ce que je voulais. Parce que oui, passer 7 ans de sa vie en droit puis décider d’arrêter, sans rien avoir derrière (ces doutes rajoutés par ma famille et des connaissances), ce n’est pas évident.
J’ai quitté le Barreau en septembre 2019, puis ai fait un bilan de compétences qui m’a permis de légitimer les questionnements que je me posais. Non, je n’étais pas la « Seul ».e (chanson de Garou que j’avais choisie au début du bilan lorsqu’on nous avait demandé la première musique à laquelle on pensait) à me poser toutes ces questions et à remettre en cause mes choix de vie et la vie qui se projetait devant moi. Je n’étais pas non plus la seule à me sentir vraiment mal dans mon boulot, ce qui avait un impact sur tout le reste de ma vie.
L’année dernière, autre contexte, autre période de vie : j’étais dans une fédération d’employeurs dans le secteur de la santé qui prônait des valeurs chères pour moi : humanisme, respect, égalité,…
Ayant identifié en 2019 que c’était certainement l’environnement du Cabinet d’avocats travaillant pour uniquement des entreprises du CAC 40 qui ne me convenait pas, j’ai cherché un travail – toujours dans mon domaine d’études – dans une structure qui avait « des valeurs proches des miennes ». Je me reconnaissais dans ce qui était écrit. Toutefois, dans la vraie vie, ces principes n’étaient pas respectés. Ca a rapidement été confrontant, toutefois, les collègues que j’y ai rencontré me donnaient envie de me rendre au travail, de discuter avec eux, de s’entraider, etc.
Au bout d’un an et demi dans le même poste, j’en avais fait le tour et l’absence de management était réellement problématique. Une opportunité de poste s’est ouverte en interne, j’ai donc postulé. Le chemin a été rude : il fallait passer un entretien avec l’équipe : le directeur et ma future collègue, l’entretien a duré 1h30. Puis il a fallu que je rencontre le Directeur général et le Directeur général adjoint pendant au moins 30 minutes pour justifier ma demande. Et enfin, ils m’ont demandé de rédiger une note sur mes idées et ce que je souhaitais faire évoluer si je changeais de poste.
J’ai finalement pu avoir le poste tant désiré, à partir du mois de juin 2022. Et afin de rendre service aux équipes, notamment à mes anciens collègues, j’ai été en bisaut, c’est-à-dire à-cheval sur mon ancien poste et sur mon nouveau poste, jusqu’à fin août. Cela a été très fatiguant, je donnais ce que je pouvais. Toutefois, je passais d’une absence totale de management à un management hyper contrôlant… Je n’arrivais pas à comprendre comment les rôles étaient répartis, bien qu’ayant pris du temps pour essayer de démêler cela, que ce soit plus clair. Rien n’y faisait, les tâches confiées, les délégations n’étaient pas claires, je n’arrivais pas à effectuer mon travail. Cela a été de pire en pire, avec également des tâches à faire qui ont été insupportables pour moi.
Comme je l’ai dit, j’avais rejoint cette fédération pour les valeurs prônées,… et là, alors que cela faisait 2 ans que je savais que les valeurs n’étaient pas respectées en interne, j’ai dû animer des réunions auprès des adhérents en leur disant de respecter ces valeurs.
Et là, alors qu’on avait convenu, au moment de mon changement de poste, que j’aurais une augmentation de salaire, ils m’ont fait comprendre en décembre 2022 que je n’en aurais pas.
« Juriste, tu aurais dû le savoir » : je me le suis dit et je l’ai également entendu de la part de plusieurs personnes, et notamment du médecin du travail.
ça a été la goutte d’eau comme on dit.
Je sentais que je pouvais « péter un câble » d’un moment à l’autre. Je suis donc allée voir mon médecin généraliste en décembre qui m’a dit qu’il fallait m’arrêter pendant 2 semaines directement.
J’ai accepté de prendre ce temps car ça n’allait vraiment pas.
Et puis, au bout de 2 semaines, il valait mieux y retourner, je ne pouvais pas rester en-dehors du système plus longtemps.
Donc je n’ai même pas pris rendez-vous chez mon médecin pour pouvoir retourner travailler.
Cette semaine de travail, ça a été très difficile : impossibilités de me concentrer, sensation que mon cerveau débloquait, j’étais sur les nerfs et sentais encore que je « pouvais péter un câble à n’importe quel moment ». Autant je voulais avancer sur mon travail, autant je n’y arrivais pas, je n’arrivais pas à réfléchir…
A la fin de cette semaine de travail, c’était la semaine de fermeture, je ne travaillais donc pas.
Puis les fêtes de fin d’année, ça n’allait pas très bien mais au moins je n’étais pas au travail.
J’ai tout de même pris rendez-vous chez mon médecin pour la rentrée : le mardi au retour de vacances, j’allais aller la voir pour échanger avec elle.
Le lundi de reprise, j’ai pu à peu près me concentrer, tout doucement, je faisais attention. Alors le soir, je me suis dit que je pourrais continuer comme cela. C’est ce que j’ai dit à mon médecin le lendemain matin : « je pense que ça va », « je peux essayer de continuer comme ça ».
Et alors, mon médecin m’a plus questionnée, je lui ai raconté la semaine avant les vacances, comment je me suis sentie pendant mes vacances. Finalement, elle m’a arrêtée 2 semaines en me disant qu’elle pensait qu’il faudrait que je prenne des anti-dépresseurs. La consultation a finalement duré 45 minutes.
Cela a été le début d’une longue série d’arrêts. Pendant une longue période, je pensais y retourner, et puis, à un moment donné, ce n’était plus envisageable.
Mes séances auprès de mes différents médecins m’ont permis d’avancer sur mon chemin de guérison.
Mais j’avoue qu’à chaque fois, ça a été difficile d’avoir mes remises en question personnelles.
Et le pire a été le rendez-vous avec le médecin du travail qui m’a enfoncée et encore plus remise en question. Cela fait partie d’un autre article.
Aujourd’hui, je suis au Canada, je travaille dans une épicerie et dans une sandwicherie. Je n’ai que des jobs alimentaires qui ne m’épanouissent pas mais me permettent de me remettre dans le bain du travail. Car oui, comme nous l’avons identifié avec deux copines, je suis encore en période de réadaptation. Nous en avions déjà parlé avec une amie en France et je me rends compte que cette période est longue, mon cerveau et mon corps ont beaucoup souffert pendant cette période.
La guérison prend du temps et c’est normal, c’est juste difficile de l’accepter quand on est dedans et lorsqu’on est dans une société qui valorise la productivité et l’action.
Et je comprends aujourd’hui à quel point c’est important pour moi de me sentir capable de toujours rebondir, de pouvoir exercer n’importe quel emploi, pour pouvoir vivre. Le fait de ne pas percevoir d’aide ne m’arrêtera pas de quitter les environnements néfastes.
Alors oui, j’y ai laissé des plumes, je m’interroge aussi régulièrement pour savoir si je ne pourrais pas exercer le métier d’avocat d’une autre manière, afin de m’investir pour défendre les valeurs qui me sont chères, mais je me rends compte du chemin parcouru.
Je souhaite à chacun.e de parcourir son propre chemin de vie – qu’il soit « dans la norme » ou « hors la norme » ou même ailleurs.
Merci au podcast de Fanny Marais, notamment l’épisode « Norme et perfection », que j’ai écouté après avoir lu son livre, qui m’a permis de mieux comprendre pourquoi je me posais autant de questions.
Voici une étape de mon parcours de création autour de ces sujets :